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26.6.17

Ils ont réussi leur Zootopia culturel ♥


Moana.

Film d'animation américain des Walt Disney Studios (2016) avec les voix d'Auli'i Cravalho, Dwayne Johnson, Rachel House, Temuera Morrison, Jemaine Clement.
Genre : aventure, humour.
Vu en VOST.

Dans un monde-océan vaste et sauvage, le cœur de la déesse-mère Te Fiti a été dérobé par Maui, esprit du vent et de la mer, qui a été intercepté par Te Kâ, un monstre furieux convoitant lui aussi la pierre magique, censée receler le pouvoir de création absolue.

Mille ans plus tard, Moana, fille du chef de Motonui, un petit village insulaire de planteurs-pêcheurs, rêve de quitter le lagon pour explorer l'immensité qui s'étend au-delà. L'Océan, qui a recueilli le cœur de Te Fiti, décide alors de le transmettre à Moana pour la charger de retrouver Maui et de lui faire restituer la précieuse pierre.



Avant de parler du film lui-même, je vais évoquer son contexte et sa réception, du moins ce que j'en ai lu sur Internet. D'abord, il faut savoir qu'en Europe, le titre du film a connu différentes traductions : Moana est devenu Oceania en Italie pour éviter la confusion avec le nom d'une actrice porno (Moana Pozzi), et Vaiana ailleurs à cause d'un parfumeur qui avait déjà fait du nom Moana une marque déposée. C'est quand même dommage parce qu'on perd toute une symbolique : à la fin d'une chanson, l'héroïne crie sa détermination par un "I am Moana" (littéralement "je suis la mer") qui avec Vaïana devient "je suis l'eau de roche". Hum...
En outre, le film semble avoir été mal accepté par plusieurs nations du Pacifique, au prétexte que la représentation de Maui serait la réutilisation d'un cliché sur les Hawaïens obèses (entre autres peuples), et que la représentation de leur culture en général serait caricaturale (notamment les Kakamora), sans parler de Maui qui est doublé par un américano-canadien (sa mère est samoane mais je suppose que ça compte aux yeux de personne).

J'adore l'idée d'une déesse-mère qui s'incarne dans un élément concret, ici une île figurant une femme allongée, parce que c'est un concept commun à la plupart des mythologies, comme Gaïa chez les Grecs.

Alors déjà, j'ai pas entendu dire que Moana se déroulait dans notre monde et j'ai écrit mon résumé, ci-dessus, en conséquence. Ça fait 80 ans que Disney passe la culture internationale à la moulinette et personne s'en plaint parce que ça oscille entre la réécriture et la vulgarisation des contes, des mythes et des folklores (malgré une qualité fluctuante, en témoigne l'Hercule de, ben tiens, Musker et Clements, comme Moana), et de fait, Moana est aussi tahitien que Game of Thrones est européen.
Ensuite, pour ma part, j'ai découvert le personnage de Maui dans le jeu vidéo Pandora's Box (dont je reparlerai bientôt) où il est présenté comme le créateur des îles de Hawaï et du coup, je l'imaginais comme un enfant (comme dans le jeu) ou comme un genre de créature, de gros poisson. Je me plains pas de la version Disney. Comme on l'a dit avec mon amie Alwine, c'est une divinité, on la représente comme on veut, une divinité c'est une idée, un concept, qui est parfois incarné à travers les yeux de qui la représente.
Enfin, cette réception, c'est de la merde. Le Maui de Disney est totalement empreint de body-positivity, il assume sa corpulence et en est fier. Le casting vocal comporte essentiellement des Néo-Zélandais, des Américains d'origine Samoane ou Hawaïenne, et le personnage principal est doublé par une jeune Hawaïenne qui fait ses débuts avec Moana et avec talent.

Bref, reprenons. Moana le film vise donc à raconter l'histoire de Moana la fille et de Maui. Je vais surtout parler du second parce que l'écriture de la première est d'une banalité confondante : Moana et Tui, c'est comme Simba à qui Mufasa dit "tu vois la frontière là-bas ? Tu vois les terres derrière les montagnes ? Et bah tu dois jamais y aller." Moana et son père c'est aussi La petite sirène de Musker et Clements (encore), on doit surtout pas quitter la sécurité du foyer parce qu'au-delà, c'est mortel à tous les niveaux. Et par la suite, elle surmonte les épreuves et devient héroïque façon Hercule - encore de Ron et John, preuve qu'ils sont surtout doués pour raconter différentes variations de la même histoire. A la limite la différence ici réside dans l'incertitude de Moana : elle apprend vraiment à se former au métier de chef, avec bonne volonté, avant de céder à la mer, et même là, elle est jamais sûre d'avoir fait le bon choix.

"Kia Riteeeee !!"
... non je déconne, c'est pas le Ka Mate ^^

Maui, en revanche, c'est pas la même danse (c'est du polynés... pardon). Dans ce film, il est présenté comme un esprit civilisateur à la manière du dieu romain Hercule - et j'ai bien dit le dieu romain, dont les 12 travaux matérialisent l'avancée de l'ordre social face aux monstres, alors que chez le héros grec, il s'agit plutôt d'une démarche d'expiation (oui en plus il change de statut selon la mythologie) - du fait qu'il est responsable, dans un monde primitif qu'on imagine hostile aux humains, de la plupart des bienfaits naturels. Maui aurait apporté le soleil, les marées, les plantes - bon ça c'est pas certain ^^ - mais aussi le feu, les vents et les îles - ça c'est probablement vrai et c'est admis plusieurs fois que son importance auprès d'une humanité d'explorateurs-colons repose justement sur son rôle dans la multiplication des îles.

Après, personnellement, je le soupçonne aussi d'être à l'origine de la musique et de la danse : déjà parce qu'il ne semble pas y avoir beaucoup de divinités dans cet univers (et dans tous les folklores, il faut bien qu'elles viennent de quelque part), ensuite parce que, c'est central dans la narration, Maui se kiffe grave. Il s'adore probablement autant qu'il pense que les humains l'aiment, et je trouve ce narcissisme absolument fascinant dans un film qui met en scène une culture où la danse est un fait social et culturel diffus, contrairement au monde occidentalisé qui l'a reléguée à un art et une technique réservée à une minorité de pratiquants.
Pourquoi ? Parce que la danse et les chants sont traités comme des moyens de communication et c'est l'un des deux grands enjeux du film - avec le libre-arbitre : la communication. Maui est obsédé par son image publique, Moana apprend la majorité de ce qu'elle sait (sauf la vraie nature de son peuple, mais c'pas grave parce que la séquence est magnifique) par la culture orale, dans une société qui ne connaît visiblement pas l'écriture, et la plupart des autres personnages sont écrits sur ce qu'ils communiquent (en témoigne l'orientation choisie pour le monstre Tamatoa).

C'est un maître de l'illusion et de la manipulation, enjoué et narcissique. Il est tellement communicatif qu'il réduit à néant la détermination de Moana et parvient à la piéger ^^
Et punaise, appréciez ça ♥ Le talent de chanteur de Dwayne Johnson et le mélange des styles d'animation, crayonné et 3D, c'est superbe O_O

D'un autre côté, je l'ai dit, le libre-arbitre. C'est pas parce que tu es fille de chef que ton destin est tracé à l'avance vers un poste de gestionnaire - d'ailleurs, c'est le même rôle de chef-médiateur que dans Dragons et Dragons 2, très intéressant. C'est par parce que tu es celui qui a semé le chaos sur le monde que tu peux pas choisir de réparer tes conneries. Et au fait, vous vous rappelez cet article sur la portée sociétale des Disney où je disais que Frozen et Les Mondes de Ralph auraient pu être des films sans antagoniste ?
Y'a pas de méchant dans Moana. La narration règle la question avec, encore une fois, le principe du libre-arbitre et de la fatalité, et j'ai trouvé ça plus novateur qu'à peu près tous les autres Disney - outre que, eh, coucou, y'a zéro histoire d'amour dans Moana. Pas de méchant, pas de love interest, le duo gagnant. Disney a réussi à faire mieux avec les mythes et les folklores dans Moana que ce qu'ils avaient fait avec les enjeux sociétaux (racisme, exclusion, minorités, représentation du pouvoir public et de la police...) dans Zootopia.

L'aspect esthétique de Moana, sa charte graphique, ses effets visuels, sa bande originale, en revanche, c'est clairement un domaine dans lequel j'avais aucune attente. Je craignais juste, avant de voir le film, qu'il se résume à un one-demigod-show, ce qui au final n'est pas le cas.
Et pourtant, c'est clairement un des éléments les plus marquants du film : Moana est magnifique. Les textures sont bluffantes et le design de l'eau, omniprésente, est hallucinant de réalisme, notamment en ce qui concerne les cheveux - parce qu'évidemment, les cheveux mouillés abondent et réduisent la chevelure d'Elastigirl des Indestructibles à un casque Playmobil. Et surtout, l'esthétique et l'écriture sont si joliment mêlées que du début à la fin ça fourmille de petits détails et de trouvailles géniales jusque dans les dialogues.

Et sinon, dans une société de culture orale sans écriture, les dessins c'est bien aussi pour transmettre l'Histoire ♥

En y regardent de près, par exemple, on remarque le tressage des voiles d'herbes séchées, les différences de taille entre les cordages, la structure des navires. Malheureusement, on entend pas une fois parler de pirogue, il est toujours question de canoës et de bateaux, mais ce film transpire d'une vraie recherche sur les techniques des nations océaniques (se repérer aux étoiles et aux courants...) et d'un respect profond pour la navigation, et en tant qu'amoureux de ce domaine, j'ai baigné dans la joie.
Y'a pleins d'éléments qui se font écho - le "I have a better one" à propos des cœurs, le "you're welcome" de Maui - et des détails d'écriture très malins : le fait que Te Kâ soit décrit comme démon de feu et terre, soit l'opposé de Maui l'eau et le vent ou que les tatouages de Maui servent à la fois à illustrer les dialogues et à enrichir le personnage. Et surtout, Maui et Moana arrêtent pas de s'attacher les cheveux. Y'a un cliché visuel de la culture qui représente les personnages des cultures "primaires" et les guerriers avec des cheveux longs, on le voit notamment dans Le Seigneur des Anneaux avec Aragorn, Legolas, Eomer ou Faramir (comment tu fais pour chevaucher ou pour cabrioler avec des cheveux sur les yeux ?), sauf que dans la navigation, contrairement à ce que montrait Assassin's Creed Black Flag, on a besoin de 100% de visibilité, donc on évite d'être gêné par une chevelure abondante.

J'aime assez le souci du détail qui fait que le design des pirogues côtières de Motunui n'aient rien à voir avec les longs catamarans de navigation, ou même que la voile en eaux calmes soit opposée, par Maui, à la navigation elle-même. Parce que y'a une différence entre tourner dans un lagon paisible et voyager sur un océan sans entraves.

L'écriture du film met aussi en scène du spiritisme façon Frère des Ours, et c'est visiblement assez balèze, quoique peu présent, et y'a enfin quelques petits coups de pied dans le 4ème mur, par exemple quand Maui suggère que c'est la cupidité des humains qui l'a poussé à voler le cœur de Te Fiti, tourne en dérision le cliché de la princesse en robe avec un copain animal, fait référence à Twitter ("écrire avec un oiseau c'est gazouiller"), se transforme en Sven de Frozen ou quand Moana protège le bébé tortue du Monde de Nemo. Arrête, le film suggère même que Maui a inventé le haka, dont le Ka Mate des All Blacks de Nouvelle-Zélande est la variante la plus connue ^^

Moana est également, c'est pas surprenant, un délice pour les oreilles. Déjà, histoire de commencer par le plus évident, la présence des langues particulières aux cultures insulaires fout en PLS Lilo et Stitch et Atlantide réunis. Ce dernier peut tout de même s'enorgueillir de l'introduction à la culture de Motonui qui ressemble, en termes de plans de caméra, vachement à celle de la cité atlante.
Niveau musiques, j'avoue que je pensais sincèrement la BO composée par mes musicos fétiches, Henry Jackman ou Michael Giacchino, mais même pas. Mark Mancina, compositeur principal dont je sais peu de chose, a notamment travaillé sur Frère des Ours - culture orale, spiritisme, ça se recoupe - ou Tarzan (pour s'en tenir à l'animation, et j'exclus volontairement deux films qui n'existent pas dans mon univers, des copier-coller de Cars avec des avions). Il est aidé dans son travail par Lin-Manuel Miranda, qui semble avoir composé essentiellement pour Broadway (le royaume américain du théâtre et de la comédie musicale).

Non mais sérieux quoi, pas une seule chanson qui ne soit pas géniale ! ♥

L'important en tout cas c'est que y'a littéralement aucune chanson de ce film qui me déplaise, alors qu'il y en a toujours au moins une qui me laisse froid dans chaque Disney ou presque (enfin dans ceux qui ont des chansons, évidemment) et que l'avant-dernier que j'ai vu, un certain Frozen, avait touché le fond avec juste 2 chansons et une musique qui me plaisaient (Frozen Heart, Do you wanna build a snowman et Vuelie respectivement).
Ici, non, les chansons sont magnifiques, les mélodies sont accrocheuses (putain j'me lasse pas d'écouter You're welcome XD) et surtout elles mêlent l'anglais et, je sais pas, le polynésien ?, c'est beaucoup trop beau. J'ignore si chaque chanson implique un-e professionnel-le de la chanson, mais les doubleurs font un travail de malade. Clairement LA grosse surprise de ce film pour moi aura été Dawyne Johnson. Je réalise que je sais quasiment rien sur lui, je l'ai toujours perçu comme un acteur bourrin de films bourrins, mais là, pffff, ok c'est un pur Américain mais il fait clairement le taf, à la fois en parole et en chansons ! L'ensemble est parfois inégal parce qu'on peut être en mindfuck en découvrant Tamatoa, écrit comme un flambeur bling-bling (cela dit, il admet s'être inspiré du narcissisme de Maui), mais de manière générale, ce film est WAW *_*


En bref : il existe depuis 2016 deux films qui démontrent pourquoi Disney domine le monde de l'animation. Zootopia et ses enjeux sociétaux totalement contemporains, Moana et sa vulgarisation parfaite de la navigation et des cultures et mythes polynésiens. Ce film est à l'image de Game of Thrones : rien de mieux qu'un monde fictif pour sensibiliser le public aux thèmes du nôtre. L'écriture est équilibrée, drôle, émouvante et héroïque, les personnages sont attachants et c'est visuellement impeccable. Clairement un incontournable de chez Mickey.

Voir aussi :
- un making-of partiel de Moana, avec notamment du dessin et les comédien-ne-s de doublages, parce qu'Auli'i Cravallho c'est totalement le bébé du casting ♥

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