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4.3.17

Dix petits soldats sur la BBC, se tuèrent jusqu'à ce que ce soit fini.


And then there were none.

Minisérie de Sarah Phelps pour la BBC (2015) avec Maeve Dermody, Aidan Turner, Burn Gorman, Toby Stephens, Charles Dance, Noah Taylor, Sam Neill, Miranda Richardson.
Durée : 3 épisodes de 55 minutes chacun.
Genre : drame, thriller.
Vu en VOST.

Été 1939, Angleterre. Huit personnes qui ne se connaissent pas, parmi lesquelles la gouvernante Vera Claythorne, le docteur Edward Armstrong, le juge Lawrence Wargrave, le détective William Blore ou encore le mercenaire Philip Lombard sont invitées par des connaissances communes, les Owen, dans la résidence luxueuse qu'ils possèdent sur Soldier Island, dans le Devon.
Ils y sont accueillis par les Rogers, un couple de domestiques discrets et rigides.

Le soir même, les hôtes ne sont toujours pas sur l'île, et les dix personnes sont publiquement accusées de meurtre par un habile montage.


Bon alors c'est une nouvelle adaptation du roman le plus connu d'Agatha Christie, Les dix petits nègres, dont vous avez sûrement déjà entendu parler à moins que vous ne l'ayez carrément lu – à l'époque de ma scolarité, il était notamment au programme du collège, si bien que je l'ai lu coup sur coup en 5ème à Dunkerque et en 4ème en Auvergne – et dont l'intrigue est bien connue.
J'ai entendu parler de cette nouvelle version dans un Chroma de Karim Debbache – je vous recommande d'ailleurs ce vidéaste et son travail incroyablement documenté et intéressant en matière de vulgarisation cinématographique – traitant des slasher-movies et de Silent night deadly night en particulier.
And there were none, le roman d'Agatha Christie, y était présenté probablement à juste titre comme l'un des fondateurs du genre slasher – littéralement « trancheur » – qui descend à priori de la culture populaire criminelle anglaise du XIXème siècle, Jack l'Éventreur en tête de file.

De fait, ce roman que j'ai toujours en estime sans pourtant lui témoigner beaucoup d'affection brille par des qualités généralement sous-estimées. Le mystère de sa narration repose à la fois sur la brutalité des mises à mort, jamais représentées dans le texte – les protagonistes trouvent les corps après coup – mais pourtant mises en scène selon une comptine odieusement sinistre, et sur le fait que le coupable n'est jamais connu dans l'intrigue – à l'exception d'un épilogue qui, comme nous l'enseigne les lois de l'écriture narrative en littérature et au cinéma, ne fait pas vraiment partie de l'intrigue, tout comme les scènes post-génériques ne font pas partie des films.
C'est du bonus pour ajouter des détails quoi.

Toujours dans la subtilité, ces Américains.

Bref, le fait que Karim Debbache dont les goûts culturels sont assez justes ait vanté cette adaptation – et le casting à pleurer d'émotion que j'ai découvert après l'avoir googlée (d'ailleurs à partir de maintenant va falloir que je dise « après l'avoir écosiée », grâce à Ecosia le moteur de recherche qui plante des arbres) – m'a incité assez rapidement à la découvrir.
Outre que c'est une actualisation assez élégante de l'histoire originale – j'ai bien dit actualisation et pas modernisation, à la manière d'un Sherlock de Gatiss et Moffat – cette minisérie recèle deux avantages.
Le premier, c'est la BBC à la production, une chaîne anglaise connue pour ses séries de très haute qualité d'écriture, de casting et d'interprétation – au hasard, Luther avec Idris Elba, Sherlock avec Benedict Cumberbatch et Martin Freeman, The Office avec Ricky Gervais (la version britannique, la seule qui compte), et pour les plus réticents, Doctor Who avec Christopher Eccleston, David Tennant, Matt Smith, Peter Capaldi, Jena Coleman et Karen Gillan.
Et le second avantage de cette nouvelle adaptation du roman, je l'ai dit, c'est son casting.

L'un des trucs qui anime et excite le plus le cinéphile que je suis est de voir des acteurices de seconds rôles – les petites mains omniprésentes du cinéma et des séries télé, loin des stars surcotées – dans des œuvres antérieures au moment où je les ai découvert-e-s, et dans des œuvres où ces interprètes sont très justes ou très inattendus.
L'un des exemples les plus parlants de mon sentiment à cet égard, c'est Charles Dance. Je l'ai découvert dans Game of Thrones, je l'ai redécouvert dans le vieux Last Action Hero, un film de mon enfance que j'adore, je l'ai vu dans l'excellent Ghostbusters de 2015, et le voilà dans Dix Petits Nègres. Dans le rôle idéal pour lui du juge Wargrave.
Basiquement, And there were none version 2015, c'est un buffet à volonté, c'est une énorme recette de pâtisserie, c'est une gâterie culturelle format Jumbo entièrement dédiée à ma passion pour le 7ème art : Charles Dance, Aidan Turner, Toby Stephens, Noah Taylor aka l'un de mes acteurs de seconds rôles préférés de l'univers, Sam Neill, Burn Gorman aka l'un des autres acteurs de seconds rôles préférés de l'univers, cette série est à pleurer, son casting est A-HU-RISSANT.


Bref, l'intrigue pour ceux qui connaissent pas – le roman est vieux, facile à trouver, pas cher, excellent, lisez-le vite, puis regardez cette adaptation \o/
Là où j'ai toujours eu le sentiment que le roman se déroulait plutôt dans les années 1920 – il est notamment question de la Grande Guerre dont le général MacArthur est un vétéran – il s'avère en fait que la présente adaptation replace le cadre au moment de la rédaction de l'ouvrage original, juste avant la Seconde Guerre Mondiale. Ce qui permet assez subtilement quelques dialogues sur le fait qu'Isaac Morris, l'exécutant à distance des Owen, est un Juif et qu'on peut jamais se fier à ces gens-là. En contrepartie, un cadre temporel plus précoce aurait eu le mérite de justifier les accusations de Blore à l'encontre de Lombard d'être un Fenian, soit un indépendantiste irlandais (je rappelle, la République d'Irlande est fondée en 1921).

Donc ça se passe un tout petit peu avant la 2GM, dont on ne parle quasiment pas – parce que l'intrigue des Dix Petits Nègres est toute entière tournée vers le passé, notamment le passé occulte des intervenants – et en plein été, ce qui met joliment en valeur Soldier Island, une île certes assez austère et rocheuse, loin de la côte, mais également surmontée d'une demeure moderne, basse, blanche et élégante, telle que décrite par Agatha Christie.


J'aime bien la manière dont cette série introduit les personnages progressivement, tout au long de l'intrigue et pas juste de manière artificielle au début. Très vite, les premières rencontres posent les caractères : Armstrong et Marston se croisent sur la route, préparant la construction du premier comme un instable en puissance et le second comme un inconscient désinvolte, tandis que Lombard harcèle Vera par des regards appuyés dans le train.
Mais, plus intéressant, les passagers se retrouvent sur le quai avant Soldier Island puis font le trajet jusqu'à la maison, un élément presque expédié dans le livre, qui ici permet de présenter chacun : Wargrave est vieux et digne, Blore est soupe au lait mais serviable et Lombard est un connard (désolé, je vois pas comment le définir autrement, c'est un type arrogant, égoïste et cynique qui s'assume).

Tout au long de cette minisérie en fait, le caractère de chacun-e et donc l'interprétation des personnages sont centraux dans l'intrigue et la mise en scène. J'ai toujours imaginé les Rogers plus vieux qu'ils ne le sont ici (d'autant plus qu'Ethel Rogers meurt quasiment de santé fragile), mais j'ai trouvé pertinent que le mari traite sa femme – l'image même de l'épouse soumise et de la domestique craintive – avec un dédain un peu paternaliste propre à l'époque de narration. Joué par Noah Taylor (vu un peu partout et notamment dans Game of Thrones où il est Locke, le bras droit coupeur de main de Roose Bolton), Thomas Rogers est un peu sec, l'acteur incarne bien (c'est une habitude pour lui on dirait, il a joué Hitler dans l'excellent film hongrois Max de Menno Meyjes) ce personnage digne au passé trouble que la série présente comme parfaitement coupable d'assassinat, loin de la « négligence supposée » du roman.

De haut en bas, Blore, Lombard et Armstrong. Trois caractères parfaitement interprétés par des acteurs de grand talent. Waw.

Plus tard, Toby Stephens (James Flint dans Black Sails) incarne bien pour sa part l'ancien alcoolique toujours sur le point de replonger, perpétuellement au bord de la crise de nerfs, tandis que Blore, un personnage assez négligé dans le livre d'Agatha Christie, est ici bien plus développé et humanisé au profit de Burn Gorman (vu un peu partout et notamment dans Game of Thrones où il est Karl Tanner, le chef des mutins de la Garde de Nuit chez Craster), notamment vers la fin, alors qu'il n'y a plus beaucoup de survivants et que les derniers se doutent qu'ils quitteront pas l'île. Il a cette scène que j'adore où il dit « j'ai une maison, un petit jardin, j'aime bien me poser là avec du thé, du fromage et des radis fraîchement cueillis », le mec aime les petits plaisirs de la vie simple, et il va finir assassiné juste parce qu'il a cassé la tête d'un homosexuel, ce qui n'était pas choquant à l'époque.

Ah, et puis j'ai parlé de Charles Dance (vu un peu partout et notamment dans Game of Thrones où il est Tywin Lannister (Dark à un moment ça va se voir que t'as la flemme de présenter les acteurs (mais non))) ; lui demeure tout au long de l'intrigue (et jusqu'à son dénouement) ce personnage courtois, discret, mais aussi autoritaire et parfois enclin à une dureté peu commune, j'ai adoré.
Après je pourrais parler de Sam Neill (Jurassic Park), très bon en vieux général avec des restes de force, qui sent l'embrouille venir à dix kilomètres, ou d'Emily Brent jouée par Miranda Richardson dont le rôle le plus notable est peut-être celui de Lady Van Tassel dans le Sleepy Hollow de Tim Burton. Son personnage est tellement froid et détestable qu'on regrette que sa mort ne soit pas plus spectaculaire – elle est d'une suffisance ahurissante avec Ethel Rogers et lui dit notamment qu'avoir une maladie des yeux est une faiblesse coupable, limite un péché, traite Vera Claythorne avec le même genre de dédain et dit plus ou moins que la comptine des Dix Petits Nègres c'est de la merde indigne du nom de poésie.


Mais le cœur de la narration est évidemment centré sur le couple final, ici mis en scène avec bien plus d'intimité et de tension sexuelle qu'un roman anglais de 1939 ne pouvait le faire. J'ai trouvé Maeve Dermody, interprète de Vera, absolument géniale, à la fois dans les flashbacks liés à Hugo et Cyril Hamilton – lesquels sont plus importants dans la mise en scène filmée – que dans la narration proprement dite sur l'île. Certes, l'actrice ressemble beaucoup trop à Emily Blunt et ça me perturbe, mais son glissement progressif vers la folie, la psychopathie et la survie à tout prix est parfaitement retranscrit, entre autres par l'attention qu'elle porte à la comptine des Dix Soldats (en anglais, dix petits nègres en français) et par son ultime pétage de câble à la fin.

Face à elle, Aidan Turner (alias Kili dans Le hobbit, y'a deux faux jumeaux, c'est celui qui ressemble pas à Dany Boon) est un Lombard parfait. Déjà, il est vraiment méchant, y'a pas de doute. Arrogant, charmeur, cynique, mais égoïste et fier de l'être. Il arrête pas de surnommer Blore de... bon, en français on va dire que ça donne un truc genre « gros lard », référence au fait que dans Les dix petits nègres, le policier est effectivement pas très athlétique. Au moment des réactions aux accusations publiques, il est le seul à admettre les faits, qui ont été modifiés pour l'adaptation : il ne s'agit plus d'une tribu africaine laissée à la merci de la famine pour sa propre survie, mais d'un massacre en règle pour récupérer des diamants. Le coupable de la tuerie énonce, dans l'épilogue du roman, qu'il a choisi l'ordre des morts pour finir par les meurtriers les plus incurables, les monstres les plus dénués de conscience, et à mon avis Lombard n'est pas dernier uniquement parce que s'il l'était, il ne mourrait pas, ce type est un survivaliste à l'extrême (contrairement à Vera, dont la psychologie plus instable la rend influençable à une suggestion de suicide).


Au-delà de ce casting ahurissant et de ces interprétations géniales, je pense que la mise en scène joue beaucoup dans la réussite de cette minisérie. Le montage des lettres rédigées et envoyées au début est assez cut, mais pas trop, et ça plonge directement le spectateur dans l'attente suscitée par ce genre de série d'enquête. La préparation du disque d'accusation, jamais montrée dans le roman, est vite évoquée avec justesse et là encore, un sens de la préparation étonnant.
Soldier Island est un bout de roche dépassant à peine des flots, avec des crevasses accidentées – probablement les vestiges d'un complexe minier antique, vu que les îles britanniques ont toujours été riches en minerais – et malgré le cadre temporel en plein été, la narration est émaillée d'une météo dégueulasse, et ce dès son introduction dès le début du premier épisode, limite noyée dans la brume.


Parallèlement, la transition de l'étonnement – on est sur une île sans hôtes – vers le mystère – deux morts d'un coup ça devient bizarre – puis la tension – bon y'a clairement un meurtrier ici ça pue du cul – se fait par des jeux de lumières et d'ombres plus marqués. Au début les plans sont larges pour constituer un cadre énorme, écrasant – par exemple lors des premières apparitions d'Ethel Rogers. Par la suite, tout se resserre sur les personnages et le spectateur. Des transitions de ciel nocturne ou nuageux contrastent des intérieurs plus sombres – parce qu'en l'absence des Rogers et vu l'ambiance, on fait plus l'effort d'allumer partout – et une manière de filmer de plus en plus noire et oppressante, à l'exception d'une scène de folie collective, à mesure que les cauchemars des invités refont surface (sauf concernant ce pignouf sans conscience de Lombard), une musique grave et lente au violoncelle, rohlala *_*
En plus la série possède un petit générique à la manière de Black Sails, avec un objet sur fond noir, révélé en musique (et tendue en plus, sombre et écrasante) au fur et à mesure des images, jusqu'à un plan final sur la demeure de Soldier Island. Très très classe.

En bref : actualisation très juste du roman d'Agatha Christie, And then there were none est une excellente adaptation. L'ambiance funeste, la désolation d'une île hostile au large du Devon, le montage bien pensé et le casting incroyable font de cette œuvre une référence du thriller policier. Que vous connaissiez ou non l'œuvre originale ou les adaptations précédentes, celle-ci mérite clairement votre attention.

1 commentaire:

  1. Superbe chronique ! En vrai, en voyant le casting ça me donne encore plus envie, et il faut dire que tu vends vraiment bien la série ! :D Je la commence à l'instant. Merci pour ce conseil !

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