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23.3.15

Pythéas le Navigateur

Sur la Germanie antique, les sources écrites manquent énormément parce que les Germains étaient un peuple de culture orale comme les Celtes, et la principale entité politique de l'époque, l'Empire Romain, les connaissait très mal, parce qu'il se foutait de connaître ses voisins du moment qu'ils restaient à bonne distance, ce qui fait qu'il ne savait d'eux que ce qui pouvait lui permettre de les dominer : comment ils se battent, à quel point on peut les convertir à la civilisation avec des richesses et de bonnes pièces de monnaie bien romaines. Tout ce qui est culturel, religieux ou sociétal, rien à battre.
On a, en fait, avant et pendant l'époque romaine, trois grands témoins de premier plan qui ont évoqué le monde germanique dans leurs œuvres. Un Grec et deux Romains.
Le plus connu est évidemment Jules César, qui est allé en Germanie transrhénane lors de la Guerre des Gaules. Puis est venu Tacite, au milieu du premier siècle après Jésus-Christ, qui leur a consacré sa Germanie qui a servi à la fois à expliquer le désastre de Varus survenu en -9 et à faire l'inventaire plus ou moins réaliste (en fonction de ses recherches, qui furent quand même super poussées) des innombrables tribus germaniques.

Et avant eux, il y a eu Pythéas le Navigateur.
Maintenant tu sais pourquoi j'ai eu envie de mettre un titre badass.
Statue-Janus (deux visages accolés l'un à l'autre) de Pythéas (et Euthymènes, non visible car derrière) sur la place Bargemon à Marseille, réalisée au début du XIXème siècle.

Pythéas serait né vers 350 et mort vers 285. Je précise pas parce que durant tout cet article, on sera AVANT JÉSUS-CHRIST. Pythéas est, comme son nom le laisse supposer, un Grec. Un Phocéen, pour être exact, même s'il ne vient pas de Phocée. Il est originaire d'une colonie avancée en territoire inconnu que tu connais peut-être sous le nom de Massalia. Si tu es Romain-e, cela dit, tu l'appelles sûrement Massilia. Et si tu es une saleté de Gaulois-e sauvage et indiscipliné-e, j'imagine que tu appelles cet endroit Marseille. C'est bien, bravo, vilain rebut d'une culture en voie de romanisation, hinhinhin.
Bref, Pythéas est connu comme l'une des premières sources écrites historiques sur la Germanie. Ça veut dire quoi ? Que tous ceux qui sont passés avant lui n'ont laissé que des traces orales ou qu'ils ne sont pas situables dans le temps (voire fictifs. C'est courant dans l'Antiquité, de dire que quelqu'un a fait quelque chose qu'il n'a pas fait. Tu verras quand je te parlerai de La Germanie de Tacite).

Mais, au-delà de la Germanie, Pythéas a surtout exploré l'ensemble du monde océanique nordique, à une époque où la géographie se résumait à la Méditerranée et à ses environs plus ou moins immédiats. On connaissait la Perse-Mésopotamie, la Nubie (sud de l'Egypte), le pourtour du Pont-Euxin (Mer Noire), mais ça allait pas plus loin.
Il y eut bien un « Massaliote Periplus », journal commercial d'une route maritime régulière depuis la Phénicie jusque la Bretagne armoricaine, la Bretagne et Ierne, que l'on appelle maintenant l'Irlande, mais c'était imprécis et il a été perdu. Même les Carthaginois qui connaissaient l'existence de l'Océan s'en tapaient royalement parce que leur truc c'était les colonies commerciales en Méditerranée occidentale.

Sinon je rappelle que Carthage est une colonie phénicienne qui a fini par s'émanciper et donc que ses fondations sont des colonies de colonie. D'ailleurs elles ne sont pour la majeure partie pas indiquées sur cette carte, puisqu'en Espagne, Gaule du sud, Sicile et Sardaigne.

D'ailleurs, les Grecs faisaient pareil plus à l'est, à force de cabotage (on prenait pas encore le risque de perdre de vue la terre quand on naviguait), du coup, je m'interroge. Y'a pas de bonnes vagues en Méditerranée, c'est bien connu, c'est pratiquement un lac fermé. Et y'a des forêts, dans les Landes, dans le sud-ouest de la Gaule. Est-ce qu'il est pas possible qu'en fait Pythéas ait été le premier surfeur de l'histoire et qu'il aurait fondé Biarritz et Hossegor à cause de la proximité de la forêt pour construire des navires (comme tout Grec qui se respecte) mais aussi parce qu'il y avait des bons spots ? Ah, faudrait vérifier.
Toujours est-il que Pythéas, à un moment donné après 330, a pris son ptit bateau direction l'ouest, puis a franchi les Colonnes d'Hercule, bifurqué vers le nord, en notant au passage, parce qu'il est sérieux, la durée nécessaire pour atteindre la colonie phénicienne de Gadir devenue Gades pour les Romains et Cadix pour vous autres les sauvages Gaulois. 5 jours de navigation, grosso merdo, au fait, pour aller des Colonnes d'Hercule à Gadir.

Faites pas gaffe, il est jamais allé en Islande, après l'Écosse c'était la Norvège. Le reste est correct.

Après avoir quitté l'Ibérie, actuelle Espagne, Pythéas atteint la Bretagne Armoricaine (c'est la pointe gauloise qui milite pour l'indépendance là) et de là part vers le nord. Première grande découverte du monsieur, et pas des moindres, les côtes de la Bretagne. Lors de ce qu'on a appelé en latin la circumnavigatio, Pythéas a longé l'île de Bretagne par le sud puis l'est, avant de contourner la Calédonie (l'Écosse) par le nord. L'intérêt de la manœuvre étant principalement de calculer grosso merdo, par rapport à la durée du voyage, à l'allure du bateau et à la position des astres, la circonférence du triangle formé par les sommets que sont Belerion (Cornwall), Kantion (le Kent) et Orkas (les Orcades). Le géographe Timaeus, qui travaille sur l'ouvrage de Pythéas, évalue la longueur totale de la circumnavigatio à plus de 42 000 stades (c't'une unité de longueur grecque, à quoi tu pensais ?!?) soit 4545 miles si on considère le modèle de l'historien Hérodote de 600 pieds pour un stade, soit entre 7200 et 7650 kilomètres pour les adeptes du système métrique, c'est-à-dire un peu moins que les 7850 kilomètres calculés aujourd'hui.
Bon, sauf que Strabon, un géographe grec bien connu et un chieur de première, annonce dans ses propres travaux ultérieurs que « non, c'est pas possible, c'est beaucoup trop », à mon avis ce con était juste dégoûté de voir que la Grèce était pas le plus grand pays du monde. L'aurait fallu lui filer les dimensions de la Gaule, pour rigoler ^^
Je résume quand même : en 300 avant JC, un mec avait déjà défini 1. que la Bretagne est plus ou moins un triangle et 2. ses dimensions approximatives, juste en tournant autour. EN 300 AVANT JÉSUS-CHRIST.

Reconstitution contemporaine galloise d'une hutte celtique ancienne.

Histoire de pas faire les choses à moitié, Pythéas profite aussi de ses escales à terre, entre deux prises de notes de ses calculs, pour lier connaissance avec l'habitant. Ce qui lui permet de découvrir les bons spots de surf et d'apprendre le nom de l'île, qu'il nomme en grec Britannikē (c'est un féminin), ce qui donne Britannia ou Pritannia en latin et viendrait d'Ynys Prydein (c'est du gallois). On trouverait également dans l'île une variation d'un mot celte, Cruithen-tuath, qui signifie en irlandais « le pays des Pictes », ceux-ci étant un peuple connu pour vivre en Calédonie/Écosse, du point de vue de Ierne/l'Irlande où vivent encore des Celtes, ça se tient.
Bon, et puis pour finir, Pythéas décrit également le climat de l'île, froid et humide, ainsi que les usages locaux en termes d'implantation, qui correspondent à ce qu'on voit en Germanie et en Gaule à la même époque ― des huttes de terres et de chaume, des réserves souterraines pour le grain, la culture du pain, de nombreux rois locaux qui vivent en paix ou combattent sur des chars. Il note également l'exploitation d'étain qui est faite sur l'île, le métal étant l'un des grands objets commerciaux de Britannia.

Après la Bretagne, parce qu'il est pas à ça près et que les habitants étaient pas fans de surf, Pythéas reprend son voyage, et termine sa course sur l'île légendaire de Thulé, dans laquelle on a reconnu au fil du temps la Norvège, l'Islande ou le Groenland.
Dans le cas de Pythéas, c'est probablement de la première qu'il s'agit. A ce moment-là, on est au solstice d'été et il se trouve en un endroit que personne ne connaît encore et qu'il s'apprête donc à découvrir, le Cercle Polaire. Liant connaissance avec les habitants locaux ―  ce qui élimine clairement la possibilité de l'Islande et du Groenland, peuplés pour la première fois des siècles après l'époque de Pythéas — le Massaliote leur enseigne les rudiments du surf et en échange, ils lui apprennent l'observation du soleil, lequel ne se couche à ce moment que pendant environ 3h avant de ne plus se coucher du tout : Pythéas vient de découvrir le Jour Polaire ou Soleil de Minuit, un phénomène arctique qui n'a lieu qu'autour du solstice d'été.
Parce qu'il demeure un surfeur dans l'âme, Pythéas observe également l'océan et y découvre le « poumon marin » (soit des méduses et/ou la texture gélatineuse de l'eau à l'approche de la banquise du cercle polaire) et plus tard l'absence totale de terre, de mer ou d'air, mais un mélange des trois où il est impossible de nager comme de marcher. Ce connard de Strabon affirme au contraire dans ses textes que c'est impossible, une mer complètement gelée ça n'existe pas, visiblement il a pas entendu parler du Pôle Nord. 
Toutes ces découvertes poussent cela dit à penser que Pythéas était le premier Méditerranéen et à fortiori le premier Grec à avoir rencontré les Goths en Scandinavie.

Glace en crêpe (pancake ice en anglais) qui est constituée de blocs de glace plats et de surface, donnant à l'eau un aspect hybride entre le solide et le liquide et créant l'aspect pulmonaire et gélatineux constaté par Pythéas.

Par la suite, il remet le cap au sud (en bon surfeur, il devait pas avoir très envie de pratiquer dans les eaux polaires, et en plus y'avait plus grand-chose à voir à part de la glace là-haut) en longeant la « Gothie », soit la Norvège, ce qui l'amène dans une autre mer dans laquelle baignent les côtes de la Scythie. Il faut savoir qu'à l'époque on place la Scythie au nord du Pont-Euxin et qu'elle se poursuivrait indéfiniment au-delà.
Histoire de parler dans un langage compréhensible pour les sauvages Gaulois que vous êtes, la Scythie, ça correspond à tout ce qui se trouve entre la Germanie et la Russie, la Mer Noire et la Baltique. Crimée, Ukraine, Biélorussie, États Baltes, enfin les trucs chelous qui se prennent pour des pays là. Non pas la Pologne, à l'époque elle était perçue par les Méditerranéens comme partie intégrante de la Germanie.

Donc, Pythéas se trouve sur les rives nord de la Germanie et de la Scythie avant d'atteindre l'embouchure de la Vistule, le fleuve qui sert de frontière entre les deux pays, et y évoque la présence commune de peuples nommés par ses héritiers gréco-latins Guttones ou Guiones, les Goths quoi, ainsi que des « rejets de la mer gelée » (là je vous traduis la version saxonne d'un texte en latin, tas d'sauvages), que les mêmes héritiers appellent tantôt ēlektron, tantôt amber. Et pour cause, il s'agit de l'ambre jaune utilisé sur place comme combustible mais qui aura les faveurs des Grecs et des Romains pendant des siècles après sa découverte, principalement parce que considérée comme précieuse. Je rappelle que si le matériau est très apprécié par les Gréco-Romains, personne avant Pythéas n'avait découvert la Source.

Carte des routes de l'ambre à l'époque romaine. Récoltée sur les côtes de la Baltique et de la Mer du Nord, la précieuse résine est envoyée dans les provinces de Germanie où elle transite sur les voies romaines et les fleuves en direction de l'Italie. Le nom qui lui est donné par les Grecs, elektron, explique celui du Danemark que les Romains appelaient Jutland, pays des Jutes.
Glaesaria, en outre, vient du nom que donnent les Romains à l'ambre gris (ambre de baleine), d'où celui attribué au lieu de récolte de l'ambre jaune.

Bon, après ça, Pythéas prétend avoir poussé jusqu'au Don, un fleuve russe qui se jette dans la Mer d'Azov, à l'est de la Crimée, mais les historiens et géographes de l'époque n'y croyaient déjà pas, parce que le Massaliote n'a rapporté de cette étape aucune information alors que s'il y était allé, il aurait parlé des anciens Baltes et de leurs rapports à la Scythie et à la Perse (dont les marches d'Asie Mineure se trouvent à peine plus au sud, près du Caucase à l'est de la Mer Noire). Du coup c'est sûrement de la vantardise de surfeur, incapables de se retenir de se la péter, ces chevaucheurs de vagues.

Même si les sources s'accordent à dire que Pythéas n'a probablement pas fait d'autre voyage dans le Grand Nord, trop occupé à travailler sur ses nombreuses découvertes — la banquise permanente, le cercle polaire, le soleil de minuit, les dimensions approximatives de la Bretagne, ses peuples (Brittons et Calédoniens) et les ressources dont elle abonde (et notamment les lingots d'étain), les marées (qu'il met en rapport avec la lune), la Norvège, les Goths, les côtes de la Germanie et de la Scythie, l'ambre, le calcul de la latitude de Marseille, celui de l'inclinaison de la Terre, la preuve astronomique désormais incontestable que la Terre est ronde — certains pensent que son évocation du Don pourrait venir d'un voyage vers le Pont-Euxin et dont une tentative de circumnavigatio de l'Europe. Si ce fut le cas il a dû être déçu ^^

Statue de Pythéas réalisée par Auguste Ottin (1811-1890) placée sur la façade du Palais de la Bourse à Marseille.

En tout cas, Pythéas de Massalia est unanimement reconnu comme le premier Méditerranéen à avoir exploré des régions inconnus jusque là, l'une des trois plus grandes sources antiques sur le monde germanique et nordique, comme un explorateur de premier plan dont les résultats ont influencé et aidé les recherches d’Ératosthène, Hipparque, Timaeus ou encore Posidonios d'Apamée, et on va passer sur les critiques incessantes de ce trou du cul de Strabon qui n'a pas été foutu d'accepter que les chercheurs théoriques n'ont pas la légitimité pour critiquer aveuglément les résultats des scientifiques de terrain.
T'imagines, c'est comme si un historien disait à un archéologue « Nan, tes trouvailles c'est du flanc, t'as tort, laisse tomber. Tu dis nawak, laisse parler l'expert. » Un pain dans la gueule et voilà.

3 siècles après Pythéas, c'est tout ce que ce taré de Strabon avait pu pondre. Sérieusement. Et il ose encore faire le malin.

Bref, c'était Pythéas, Grec de Marseille, navigateur, découvreur, potentiellement surfeur, j'espère que ça vous a intéressé et j'vous dis à la prochaine fois !

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